La loi PACTE, pour Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises qui date de 2019, est l’une des réformes du secteur privé les plus ambitieuses de ces dernières années en France. Elle vise à simplifier une série de lois et règlements concernant les entreprises et à leur donner les moyens d’innover, de se transformer, de grandir et de créer des emplois. Mais au-delà de ces objectifs généraux, la loi PACTE est également une réponse audacieuse et avant-gardiste aux défis posés par les nouvelles technologies, notamment la blockchain et les crypto-actifs.
Cette loi est adoptée en lecture définitive à l’Assemblée nationale le 11 avril 2019, après un long processus de consultation et de débat. Concernant la blockchain elle arrive donc bien avant le règlement MiCA (septembre 2020) au niveau européen et en même temps que le premier règlement ICO au niveau national par l’AMF.
L’élaboration de cette loi a été marquée par une démarche participative. En effet, avant même sa présentation au Parlement, une consultation publique a été lancée, permettant à tous les citoyens de contribuer à la réflexion sur les mesures à adopter. C’est peut-être ce qui en fait encore aujourd’hui un phénomène unique au monde dans le domaine de la tokenisation.
Sommaire
La loi PACTE : pour la croissance et la transformation des entreprises
Objectifs généraux de la loi
D’une manière générale, la loi PACTE a pour ambition de libérer les entreprises des contraintes qui pèsent sur elles et de leur donner les moyens de se développer. Elle vise notamment à faciliter la création d’entreprises, à simplifier la transmission, à encourager leur croissance et à protéger les salariés.
Mais au-delà de ces objectifs généraux, elle a également pour vocation de positionner la France comme une référence en matière d’innovation et de nouvelles technologies. En introduisant un cadre juridique pour les crypto-actifs et la blockchain, la loi PACTE reconnaît le potentiel révolutionnaire de ces technologies et leur rôle croissant dans l’économie mondiale, y compris pour les entreprises de taille modeste.
Les crypto-actifs, au travers des ICO (Initial Coin Offerings), représentent une nouvelle forme de financement qui a déjà permis de lever plusieurs milliards d’euros en partant des possibilités qu’offre Ethereum. En encadrant ces opérations, la loi PACTE offre aux investisseurs une sécurité juridique tout en permettant aux entreprises innovantes d’accéder à de nouvelles sources de financement.
Principales mesures apportées par la loi PACTE
Sans reprendre l’ensemble du texte et ses centaines de mesures, voici celles qui impactent les entreprises réalisant leur ICO :
- simplification des démarches administratives : allègement des obligations comptables pour les petites entreprises et simplification des démarches pour la création d’entreprises.
- réglementation des crypto-actifs : mise en place d’un cadre juridique pour les émetteurs de jetons et les prestataires de services sur actifs numériques.
- encouragement de l’innovation : création d’un cadre réglementaire pour l’utilisation de la blockchain dans le secteur financier.
- rénovation du PEA-PME : adaptation du Plan d’Épargne en Actions destiné aux PME pour le rendre plus attractif.
Un nouveau cadre réglementaire pour les crypto-actifs
Une myriade de nouveaux crypto-actifs arrivant sur le marché et pouvant être acquis par tous les types d’investisseurs du professionnel au particulier, se devait d’avoir un cadre juridique. La loi PACTE, en reconnaissant et en encadrant ces actifs visait à faciliter son adoption et non à l’interdire.
Les actifs numériques selon la loi PACTE
Le jeton numérique, ou “token”, est défini comme un bien incorporel représentant, sous forme numérique, un ou plusieurs droits. Ces droits peuvent être émis, inscrits, conservés ou transférés grâce à un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP), communément appelé blockchain (ou DLT pour “Distributed Ledger technology”).
La loi PACTE distingue deux types d’actifs numériques, les jetons utilitaires et les crypto-monnaies :
- les jetons utilitaires, comme leur nom l’indique, offrent un droit d’utilisation d’un bien ou service à leurs détenteurs,
- les crypto-monnaies sont conçues pour être utilisées comme moyen d’échange, à l’instar du Bitcoin ou de l’Ethereum.
Ces actifs numériques ne sont pas des monnaies au sens traditionnel du terme, ce que l’on appelle “monnaie fiduciaire” ou FIAT. Ils ne sont pas émis ou garantis par une banque centrale ou une autorité publique. Cependant, ils sont reconnus comme des moyens d’échange légitimes, pouvant être transférés, stockés ou échangés électroniquement puisque leur intégrité est garantie par l’aspect décentralisé de la blockchain qui les fait circuler.
Les “security tokens”, considérés comme des instruments financiers, restent soumis à la réglementation relative aux titres financiers traditionnels avec l’approche « même activité, mêmes risques, mêmes règles ».
Le visa optionnel pour les ICOs : exigences et implications
L’offre publique de jetons, désignée par son acronyme anglais ICO (Initial Coin Offering), est définie comme la proposition faite au public de souscrire à des jetons. Ils ne sont pas nécessairement des instruments financiers, mais peuvent représenter divers droits, généralement défini dans une documentation que l’on considère être une “notice d’investissement”.
Les ICOs se distinguent des méthodes traditionnelles de financement par leur rapidité, leur flexibilité et leur ouverture à un large public. Depuis leur apparition, les ICOs ont permis de lever des milliards d’euros à travers le monde (3.4 milliards de dollars pour la première partie de l’année 2023), offrant ainsi aux startups une alternative aux financements traditionnels comme le capital-risque.
En France, avant la loi PACTE, les ICOs évoluaient dans un flou juridique. L’introduction d’un cadre réglementaire clair leur confère désormais une légitimité et une sécurité juridique, tout en protégeant les investisseurs des risques associés à leurs investissements.
La loi PACTE introduit un visa optionnel pour les ICOs, délivré par l’Autorité des marchés financiers (AMF). Ce visa, bien que facultatif, est un gage de sérieux et de conformité pour les émetteurs. Pour l’obtenir, ces derniers doivent respecter plusieurs exigences, notamment :
- être constitués sous la forme d’une personne morale établie ou immatriculée en France,
- fournir un document d’information clair et non trompeur sur l’offre et l’émetteur,
- mettre en place des moyens pour suivre et sauvegarder les fonds levés,
- respecter les obligations en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.
Les ICOs sans visa restent légales, mais les émetteurs ne pourront pas démarcher le grand public. L’AMF publiera la liste des ICOs ayant reçu son visa, offrant ainsi une garantie supplémentaire aux investisseurs.
Il est à noter que très peu d’ICO auront demandé ce VISA car selon nous elles s’adressent avant tout à une population d’investisseurs largement initiés à la crypto-monnaie et la blockchain.
Les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN) : rôles, responsabilités et réglementation
Les intermédiaires jouent un rôle important pour le développement de l’écosystème des crypto-actifs. Ils assurent la liaison entre les émetteurs de jetons et les investisseurs, facilitant ainsi les transactions et garantissant la sécurité des actifs. Ces intermédiaires peuvent offrir une variété de services, allant de la conservation d’actifs numériques à la conversion de ces actifs en monnaies traditionnelles, en passant par le conseil aux investisseurs.
La loi PACTE introduit un agrément optionnel dans un premier temps pour ces prestataires, les plaçant ainsi sous la supervision de l’AMF. Cet agrément garantit que les PSAN respectent un ensemble de règles visant à assurer l’intégrité du marché, la transparence de la formation des prix et la protection des investisseurs.
En outre, certains services, tels que la conservation d’actifs numériques ou l’achat/vente d’actifs numériques contre une monnaie ayant cours légal, nécessitent un enregistrement obligatoire auprès de l’AMF.
Ainsi, les ICO non reconnues et les prestataires non certifiés ne pourront ni démarcher, ni sponsoriser, ni parrainer (mais pourront toujours faire de la publicité). De ce fait, l’AMF se réserve le droit de dévoiler une liste d’exclusion pour les ICO et les prestataires de services en actifs numériques en infraction avec les normes en vigueur.
Il est important de noter qu’une entreprise peut réaliser son ICO sans faire appel à un PSAN tant qu’elle ne démarche pas activement les investisseurs grand public.
La France en avant-garde : blockchain et tenue des titres
L’innovation de la représentation et transmission des titres via la blockchain
Le registre de tenue de titres des entreprises est tenu de manière chronologique sur papier ou sur tout autre support durable. Il vise à mémoriser l’identité des détenteurs des parts de l’entreprise (on parle de part sociale ou d’action) et ainsi pouvoir les convoquer lors des assemblées générales ou encore leur distribuer leur part de dividende. La loi PACTE reconnaît explicitement la possibilité d’utiliser la blockchain comme moyen de représenter et de transmettre ces titres financiers. Cette reconnaissance est alors une étape majeure, car elle ouvre la voie à la digitalisation des titres de toutes les entreprises, ce qui jusque-là était réservé aux sociétés cotées en bourse.
Imaginez un monde où la vente ou l’achat d’actions d’une entreprise pourrait être effectué en quelques secondes, sans intermédiaire, avec une traçabilité complète et une sécurité renforcée. Des limites sont cependant apposées par le régulateur aux échanges de ces jetons-actions visant à interdire leur listing sur des plateformes multilatérales de négociation (on parle de MTF ou Spot pour marché au comptant). Ils pourront être échangés de gré à gré (OTC) ou au travers d’annonces (on parle de bulletin board).
Le DEEP : explications approfondies
Le terme “dispositif d’enregistrement électronique partagé” (DEEP) est la manière dont la loi PACTE désigne la technologie blockchain. Ce choix de terminologie reflète une volonté de rester technologiquement neutre, reconnaissant que la blockchain n’est qu’une des nombreuses technologies d’enregistrement partagé qui pourraient émerger à l’avenir. Il ouvre dès le départ la possibilité de la décentralisation, reconnaissant la supériorité de cette approche par rapport à une simple base de données centralisée.
Concernant le nantissement des titres sur DEEP, puisqu’il n’y a pas de compte spécial, le nantissement traditionnel n’est pas possible. Cependant, le décret introduit une méthode de nantissement par topage informatique. Les revenus des titres nantis doivent être conservés dans un compte géré par un intermédiaire autorisé.
La position unique de la France
Alors que de nombreux pays sont encore en train de débattre de la manière de réglementer la blockchain et les crypto-actifs, la France a pris les devants avec la loi PACTE. En reconnaissant explicitement la possibilité d’utiliser la blockchain pour la représentation et la transmission des titres financiers, la France se positionne comme un pionnier dans ce domaine.
En Europe, les security tokens sont considérés par l’Autorité européenne des marchés financiers européenne (ESMA) comme des titres financiers et sont donc soumis aux réglementations bancaires et financières existantes telles que la Directive Prospectus, les réglements MAR/MAD 2, CSDR, Mif 2…
Le cas FTX, un problème de législation tardive ?
L’affaire FTX, une plateforme d’échange de crypto-monnaies, a fait l’actualité à partir de 2022 en raison d’allégations selon lesquelles elle n’aurait pas possédé les actions GameStop qu’elle prétendait détenir via ses tokens. Selon les informations révélées, FTX aurait utilisé des actions tokenisées pour manipuler le coût d’emprunt des actions GameStop, tout en prétendant que ces tokens étaient soutenus par de véritables actions. Cependant, des recherches approfondies ont montré que les termes des actions tokenisées de FTX contredisaient leurs affirmations publiques sur la possibilité d’échange, et il est probable que FTX n’ait jamais réellement possédé les actions GameStop.
Dès 2020 SBF le fondateur d’FTX annonçait le listing de security tokens https://twitter.com/SBF_FTX/status/1321983279747063808 au travers d’un accord auprès d’un dealer broker allemand CM-Equity et de sa filiale suisse pour la conservation.
Cette situation met en lumière les risques potentiels associés à la tokenisation des actifs du monde réel sans un cadre réglementaire. La tokenisation, bien que prometteuse en termes de possibilités offertes aux investisseurs peut, sans surprise, donner lieu à des dérives si elle n’est pas correctement encadrée.
C’est ici que le Dispositif d’Enregistrement Électronique Partagé (DEEP) introduit par la loi PACTE en France prend tout son sens. En permettant l’enregistrement des titres sur une blockchain, le DEEP offre une solution robuste pour garantir la propriété et la traçabilité des actifs financiers. Chaque transaction est enregistrée de manière immuable sur la blockchain, offrant ainsi une preuve indéniable de propriété.
Si FTX avait enregistré ses actions tokenisées comme le permet le DEEP en France, les investisseurs auraient pu vérifier en temps réel la possession réelle des actions GameStop par la plateforme. Mais plus encore, juridiquement les tokens auraient ÉTÉ les actions GameStop et non un dérivé ou un “wrapped”. Cela aurait limité les possibilités pour la plateforme de prétendre faussement détenir des actions qu’elle n’avait pas sans prendre un risque juridique majeur, évitant ainsi les manipulations de marché et la perte des fonds des utilisateurs …
Cependant FTX souhaitait surtout ajouter ces tokens dans ses outils de listing et de dérivés, d’effet levier, etc. et donc faire de ces security des actifs plus proches de utility (ETH, altcoins) ou commodity tokens (BTC).