Scalabilité : un problème fondamental

La blockchain, souvent qualifiée de technologie révolutionnaire, se présente comme un registre distribué, transparent, intemporel et résistant à la censure. Chaque bloc de cette chaîne contient une liste de transactions, et une fois ajouté, ce bloc ne peut plus être modifié sans altérer tous les blocs suivants. Cette immutabilité garantit l’intégrité de chaque enregistrement, quelle que soit l’ampleur du réseau.

Au cœur de cette technologie se trouve une promesse fondamentale : celle de créer un système décentralisé, où les parties n’ont pas besoin de se faire mutuellement confiance pour interagir en toute sécurité. Cela s’est manifesté à travers diverses applications, allant des cryptomonnaies comme le Bitcoin ou l’Ethereum, à la traçabilité des produits alimentaires, en passant par les systèmes de vote électronique et bien d’autres.

Toutefois, pour que cette technologie tienne toutes ses promesses et soit adoptée à grande échelle, elle doit être capable de traiter un nombre massif de transactions simultanément et rapidement. C’est ici que se pose le défi de la scalabilité…

Scalabilité : quelles solutions ?

Par où on commence ?

L’importance de la scalabilité

La scalabilité, ou capacité à passer à l’échelle, est l’un des obstacles majeurs auxquels sont confrontées de nombreuses blockchains actuelles. Pour le dire simplement, si nous comparons une blockchain à une autoroute, la scalabilité représente le nombre de voies disponibles et la vitesse à laquelle les voitures peuvent circuler. Lorsque trop de voitures empruntent l’autoroute en même temps, des embouteillages se forment, rendant le trajet plus lent pour tout le monde.

Dans le contexte de la blockchain, ces “embouteillages” se traduisent par des délais de traitement des transactions et des frais élevés. Et comme pour une véritable autoroute, si les embouteillages deviennent trop fréquents, les utilisateurs chercheront des routes alternatives, ou dans ce cas, d’autres technologies.

Pour que la blockchain réalise son potentiel transformateur, il est donc essentiel d’adresser ce défi de scalabilité. C’est à cette problématique centrale que de nombreux développeurs s’attaquent aujourd’hui, cherchant des solutions innovantes pour rendre les blockchains plus rapides, plus efficaces et prêtes pour une adoption généralisée.

Problématiques actuelles de scalabilité

Événements marquants ayant révélé des problèmes de scalabilité

CryptoKitties

Fin 2017, un simple jeu basé sur la blockchain Ethereum, où les joueurs pouvaient acheter, élever et vendre des chats virtuels, a connu un succès fulgurant. Son succès était tel qu’il a engorgé le réseau Ethereum, ralentissant les transactions et faisant grimper les frais. Cet événement a servi de révélateur, montrant que la blockchain, dans son état actuel, pouvait être vulnérable à des surcharges inattendues.

ICOs

Les offres initiales de pièces (ICO) ont explosé en popularité en 2017 et 2018. De nombreuses startups ont levé des milliards de dollars en utilisant la blockchain, principalement Ethereum. Cette affluence soudaine a montré les limites de la blockchain en matière de gestion des transactions à grande échelle.

DeFi

La finance décentralisée (DeFi) a promis de décentraliser les services financiers traditionnels en les rendant accessibles à tous via la blockchain. Toutefois, sa popularité croissante a exercé une pression sans précédent sur les réseaux, exacerbant les problèmes de scalabilité.

NFTs

Les tokens non fongibles (NFTs) ont changé la donne pour les artistes et les créateurs, leur permettant de monétiser leur art de manière unique. Cependant, le boom des NFTs, principalement sur Ethereum, a encore accentué les problèmes de congestion et de frais élevés.

Coûts transactionnels élevés

Avec l’engouement pour la blockchain, les réseaux comme Ethereum et Bitcoin ont vu leurs frais de transaction grimper en flèche. Les utilisateurs, en particulier lors d’événements de forte demande comme ceux mentionnés précédemment, ont parfois dû payer des sommes exorbitantes pour que leurs transactions soient traitées en priorité. Cela a rendu la blockchain moins attrayante pour les petites transactions, contrecarrant sa promesse d’une économie décentralisée et accessible.

Le trilemme de la blockchain

Le trilemme de la blockchain est un concept central lorsqu’il s’agit de discuter des défis auxquels sont confrontées les blockchains publiques. Il désigne la difficulté de concilier simultanément trois propriétés essentielles et désirées pour une blockchain :

Sécurité

Une blockchain doit offrir un niveau de sécurité élevé, garantissant que les transactions et les données stockées sont à l’abri des attaques malveillantes, des falsifications et des fraudes. Cela signifie que, même face à des acteurs malintentionnés, la blockchain doit résister et fonctionner correctement, sans compromettre l’intégrité de son historique ou de ses données.

Scalabilité

Il s’agit de la capacité d’une blockchain à traiter un grand nombre de transactions simultanément et rapidement. Avec l’augmentation de la demande et l’adoption des cryptomonnaies, il est devenu impératif que les blockchains puissent traiter de vastes volumes de transactions efficacement sans engendrer de délais importants.

Décentralisation

C’est l’un des principes fondamentaux des blockchains, assurant qu’aucun acteur ou groupe d’acteurs n’a un contrôle centralisé ou une influence prépondérante sur le réseau. Une blockchain décentralisée signifie qu’elle est gérée par un réseau distribué d’ordinateurs (ou nœuds) qui opèrent en consensus, plutôt que par une entité centrale unique.

Le trilemme découle du constat que, dans les configurations actuelles, il est extrêmement difficile d’obtenir ces trois propriétés en même temps. Par exemple :

  • Si une blockchain privilégie la scalabilité en augmentant la taille des blocs pour traiter plus de transactions, cela pourrait potentiellement réduire la décentralisation, car seuls les acteurs disposant de plus de ressources (comme des capacités de stockage ou de traitement supérieures) seraient en mesure de gérer ces grands blocs.
  • De même, en privilégiant la décentralisation en permettant à n’importe qui de participer au réseau, cela pourrait affecter la sécurité si des mécanismes de consensus moins robustes étaient utilisés, ou la scalabilité si le réseau devient trop fragmenté.

Le défi pour les développeurs et les chercheurs est donc de trouver des moyens d’équilibrer ces trois éléments ou de créer de nouvelles architectures qui peuvent réconcilier ces compromis inhérents.

Les différents layers

La scalabilité de la blockchain est comparable à la construction d’une ville moderne. Comme pour une métropole, où routes, métros et ponts coexistent pour assurer la fluidité du trafic, la blockchain s’appuie sur différentes couches pour garantir un flux ininterrompu de transactions. Comprendre ces “layers” est essentiel pour saisir les solutions proposées face aux défis de la scalabilité.

Layer 0​

Cette couche est souvent négligée dans les discussions courantes, mais elle est fondamentale. Le Layer 0 concerne le réseau sous-jacent sur lequel la blockchain fonctionne. Il s’agit des infrastructures physiques, comme les serveurs et les connexions Internet, qui permettent aux nœuds de la blockchain de communiquer entre eux. Tout comme une ville a besoin de terrains solides pour construire des bâtiments et des routes, une blockchain a besoin d’un réseau robuste et rapide pour fonctionner de manière optimale. Les innovations à ce niveau peuvent inclure des protocoles de communication plus rapides ou des méthodes plus efficaces pour la transmission des données.

Layer 1

C’est la couche native de la blockchain elle-même. Lorsque nous parlons de Bitcoin ou d’Ethereum, nous faisons généralement référence à cette couche. Elle englobe les règles de consensus (comme la preuve de travail ou la preuve d’enjeu), la manière dont les transactions sont stockées et l’architecture générale de la blockchain. Les solutions de scalabilité à ce niveau peuvent inclure l’augmentation de la taille des blocs ou la modification des mécanismes de consensus pour traiter les transactions plus rapidement. C’est dans cette couche que résident les défis majeurs de scalabilité, notamment le trilemme évoqué précédemment.

Layer 2

Si le Layer 1 est la base, le Layer 2 est une surcouche construite au-dessus de cette fondation. Plutôt que de modifier la blockchain elle-même, les solutions de Layer 2 offrent des moyens d’effectuer des transactions “hors chaîne” ou de les traiter de manière différente avant de les enregistrer sur la blockchain principale. Les canaux de paiement, les “rollups” et les sidechains en sont quelques exemples. Ces solutions peuvent grandement augmenter le nombre de transactions traitées par seconde, tout en réduisant les coûts associés. Elles sont souvent considérées comme la voie la plus prometteuse vers une scalabilité véritablement massive.

En résumé, ces trois layers ou couches constituent les fondations, le cœur et les extensions de la blockchain. Comme dans une ville, où chaque élément de l’infrastructure a son rôle, chaque couche de la blockchain a sa fonction et sa valeur. Ensemble, elles forment un écosystème qui, espérons-le, pourra répondre à la demande croissante d’une économie décentralisée.

Scalabilité : différentes approches

Comme toute infrastructure, la blockchain doit évoluer pour répondre aux demandes croissantes de ses utilisateurs. Pour ce faire, deux approches majeures ont été identifiées : la scalabilité “on-chain” et “off-chain”. Chacune a ses mérites, ses innovations et ses défis. Comprendre ces approches, c’est un peu comme choisir entre agrandir une route existante ou construire une voie rapide parallèle pour désengorger le trafic.

Scalabilité “on-chain” : modification de la blockchain elle-même

L’approche “on-chain” vise à apporter des modifications à la structure même de la blockchain pour augmenter sa capacité de traitement des transactions. En d’autres termes, c’est une tentative d’optimiser ou de reconfigurer la blockchain de base pour qu’elle puisse traiter plus de transactions par seconde.

Exemple phare : The Merge pour Ethereum

Un des exemples les plus notoires de cette stratégie est “The Merge” pour Ethereum. Ethereum, initialement basé sur un mécanisme de consensus de preuve de travail (Proof-of-Work), prévoit de fusionner avec Ethereum 2.0 pour adopter un mécanisme de preuve d’enjeu (Proof-of-Stake). Ce changement a pour but non seulement de rendre Ethereum plus écologique, mais aussi d’augmenter sa capacité à traiter un plus grand nombre de transactions.

Défis

Bien que prometteuse, la scalabilité “on-chain” présente des défis conséquents :

Rigidité

Toute modification de la blockchain elle-même nécessite un consensus généralisé. Cela peut être difficile à obtenir, car chaque acteur peut avoir des intérêts divergents.

Complexité

La mise en œuvre de modifications majeures peut être complexe et risquée, pouvant entraîner des erreurs ou des failles de sécurité.

Dilution de la décentralisation

En augmentant la taille des blocs ou en modifiant le consensus, on peut risquer de rendre la participation plus difficile pour les petits acteurs, centralisant ainsi davantage le pouvoir.

Scalabilité “off-chain” : Solutions de Layer 2

Les solutions “off-chain” ou de Layer 2 se concentrent sur le traitement des transactions en dehors de la blockchain principale, avant de les enregistrer finalement sur celle-ci. Ces méthodes représentent une sorte de “voie rapide” pour les transactions, où plusieurs d’entre elles peuvent être traitées simultanément avant d’être consolidées.

Avantages

Rapidité

Les transactions sont souvent traitées instantanément, car elles n’attendent pas la confirmation de la blockchain principale.

Coût

Les transactions “off-chain” peuvent réduire considérablement les frais, car elles évitent la congestion de la blockchain principale.

Flexibilité

Ces solutions peuvent être adaptées à des besoins spécifiques sans perturber la blockchain principale.

La liberté qu’elles offrent

Contrairement aux modifications “on-chain”, les solutions “off-chain” sont généralement plus flexibles et peuvent être mises en œuvre sans affecter la blockchain de base. Cela signifie que différentes solutions peuvent coexister et être adaptées en fonction des besoins de la communauté.

En conclusion, le chemin vers une scalabilité accrue de la blockchain est pavé d’innovations, tant “on-chain” que “off-chain”. Chacune de ces approches a ses avantages et inconvénients, et c’est la combinaison de ces stratégies qui déterminera l’avenir de la scalabilité de la blockchain. Dans le prochain article de ce Wiki, nous plongerons plus profondément dans le fonctionnement des solutions “off-chain”…