La tokenisation immobilière désigne le fait de représenter des droits directs ou indirects sur des actifs immobiliers du monde réel sous forme de tokens numériques enregistrés sur une blockchain. Elle permet un investissement fractionné : les tokens immobiliers sont vendus par petits montants, rendant l’accès à l’investissement basé sur la pierre possible pour des investisseurs particuliers au budget limité et la dispersion du risque sur plusieurs projets facilitée.
Rien de fondamentalement nouveau ici, la fragmentation immobilière de plateformes Web2 n’a pas attendu le Web3 pour rendre possible ce mécanisme. Cependant les tokens de blockchains sont par définition plus sécurisés et transparents et devraient faciliter l’essor de cette pratique qui a déjà plus de 10 ans.
Le ticket d’entrée sur le marché immobilier traditionnel reste élevé pour les investisseurs non professionnels et les meilleurs rendements sont généralement réservés à ceux capables de financer rapidement et avec un coût de support limité. La tokenisation apporte ici une solution accessible à tous, une nouvelle façon simple et rentable d’investir dans la pierre via la mutualisation des fonds permise par la fragmentation des actifs en tokens, le ticket d’entrée unitaire s’en trouve significativement réduit.
Concrètement, les droits sur un actif immobilier réel sont transformés en jetons utilitaires. Ces tokens immobiliers sont sécurisés et infalsifiables grâce à la blockchain, et deviennent facilement transférables entre acheteurs et vendeurs.
Les détenteurs de tokens immobiliers perçoivent une quote-part des revenus du sous-jacent : ils touchent par exemple une partie des loyers générés par le locataire d’un appartement en fonction des tokens qu’ils possèdent. Ils peuvent aussi percevoir une part de la valeur du bien en cas de revente.
La tokenisation permet la possession de fragments de biens immobiliers, dont l’échange est simplifié et accéléré, avec des coûts de transaction très faibles. Elle présente de multiples avantages : barrière à l’entrée abaissée, diversification de portefeuille, liquidité accrue des actifs, efficacité renforcée par la désintermédiation et la transparence des flux financiers. En attirant davantage de capitaux, elle contribue aussi à fluidifier le marché.
La fragmentation cherche en somme à résoudre la limite traditionnelle de liquidité des actifs tangibles (immobilier, œuvres d’art, or…) en les dématérialisant sur les blockchains. Ce nouveau paradigme immobilier suscite un intérêt croissant, des particuliers comme des institutionnels, même si certains verrous réglementaires restent à préciser.
L’immobilier fractionné : la première brique Web2
Avant l’avènement de la tokenisation blockchain immobilière et des projets Web3, des acteurs Web2 ont ouvert la voie à une accessibilité plus grande du marché immobilier aux particuliers à budget limité, via le concept de l’immobilier fractionné.
Des plateformes ont ainsi commencé à proposer au grand public de mutualiser leur investissement à partir de seulement 10€ dans des biens immobiliers, en achetant non pas une partie de la propriété du bien, un “royalty” ou une obligation suivant la plateforme, représentant un droit à percevoir une quote-part des revenus générés par le bien.
Le fonctionnement est le suivant : la plateforme Web2 achète un immeuble via un véhicule d’investissement ad hoc en mobilisant les fonds collectés auprès des investisseurs particuliers à la suite de la présentation du projet. Les participants deviennent alors créanciers de la foncière qui possède le bien, et perçoivent en échange des royalties ou des coupons d’obligation représentant une part des loyers ou des plus-values selon leur niveau de financement dans l’opération.
Ce modèle a connu un fort engouement, à l’image de Bricks qui a levé 20M€ en 2022 auprès de 50 000 investisseurs en quelques jours à peine. Mais il présente certains écueils, réglementaires notamment, qui ont été soulignés par l’AMF dans plusieurs communications.
L’autorité pointe du doigt le risque pour les investisseurs d’être de simples créanciers d’une foncière souvent peu capitalisée, le manque de clarté sur certains frais, et une communication parfois trompeuse laissant croire à une propriété des biens.
Face à ce contexte, plusieurs acteurs du secteur se sont regroupés au sein de la Fédération des Plateformes de Partage de Revenus (F2PR), avec pour objectif d’apporter plus de transparence, d’aligner au mieux les intérêts des investisseurs et des initiateurs de projets, et de développer un écosystème responsable sur ce créneau de l’investissement participatif immobilier fractionné.
Bien que des clarifications soient encore nécessaires sur le plan réglementaire, ces projets Web2 ont démontré un intérêt certain de la part des investisseurs particuliers permettant une accessibilité étendue au marché de l’immobilier via un nouveau support d’investissement. Le Web3 et la tokenisation immobilière visent désormais à pousser le concept encore plus loin.
Tour du propriétaire des acteurs Web3 Français
Atoa
Atoa est une start-up française lancée en 2023 qui propose une plateforme d’investissement immobilier tokenisé. Son siège se trouve à Paris.
Atoa est une plateforme d’investissement immobilier permettant d’investir dès 50€ dans des projets via des tokens. Les projets sont soigneusement sélectionnés et gérés par Atoa, avec les biens placés sous la tutelle d’une fiducie pour la sécurité juridique. Atoa semble définir les tokens comme utilitaires, correspondant à un “droit de jouissance sur le parc immobilier” soit une part des cash flows générés ainsi que “du statut de bénéficiaire de la fiducie sûreté”.
La plateforme privilégie des biens dans des zones à forte croissance économique et démographique, dans l’objectif de garantir une demande locative régulière. Atoa redistribue les loyers aux détenteurs de tokens avec des commissions de 10% sur les ventes et loyers.
Les investisseurs peuvent gérer, réinvestir ou convertir leurs tokens. L’objectif de rendement se situe entre 6% et 8%, avec un premier exemple de projet à Niort offrant 6,5%. Les rendements sont soumis à un prélèvement forfaitaire unique (PFU) de 30% (12,8 % auxquels s’ajoutent les prélèvements sociaux de 17,2 %).
Blok
Blok est une startup française fondée en 2022 qui permet aux investisseurs de participer à des projets via le réseau MultiversX sur la blockchain Elrond.
Les biens immobiliers sont sélectionnés dans des villes de plus de 100 000 habitants avec une forte demande locative. Leur premier achat, réalisé le 19 juin 2023, est un grand appartement de 102m² à Orléans. Pour ce bien, 6390 $BLOK seront vendus à 50€ chacun, avec des frais de 4€ (8%). Pour ce bien ,le rendement net avant impôt est de 5.53%, et 5.12% après la commission.
L’entreprise a émis deux types de jetons : le $BKT, un token utilitaire offrant différents services et avantages, et le $BLOK, un security token pour la tokenisation immobilière. Chaque $BLOK représente une obligation inscrite sur la blockchain, générant des rendements liés à la rentabilité du bien et aussi servir de collatéral.
Pour chaque propriété acquise, Blok crée un SPV (Special Purpose Vehicle) qui émet des obligations sous la forme de security token, finançant ainsi la propriété. Les détenteurs de $BLOK reçoivent une part des loyers de manière hebdomadaire, proportionnelle au nombre de jetons détenus. Pour améliorer la liquidité du marché, Blok envisage de créer un marché secondaire.
Les investisseurs peuvent réclamer les revenus locatifs en EUR, $EGLD, $USDT ou $BKT. Blok gère automatiquement la flat tax sur les paiements en token, simplifiant la déclaration fiscale pour l’investisseur. De plus, les revenus peuvent être facilement justifiés grâce au contrat entre Blok et l’investisseur, car ils sont considérés comme des revenus immobiliers.
Fraktion
Fraktion, lancée en 2021, est une plateforme d’investissement immobilier basée sur la blockchain Tezos, soutenue par Nomadic Labs, le laboratoire de recherche et développement de Tezos en France.
Fraktion offre un investissement immobilier accessible dès 10€. Les loyers perçus par les investisseurs particuliers sont soumis à la flat tax. La start-up agit comme un agrégateur de projets immobiliers diversifiés, collaborant avec des experts de l’immobilier. Ils analysent les actifs via une grille détaillée incluant de multiples critères. La plateforme se concentre sur des immeubles multi-lots pour minimiser les risques.
Après la validation d’un bien immobilier, Fraktion initie une campagne de souscription où les investisseurs choisissent d’investir et le montant. Une fois une jauge minimale atteinte, les étapes de KYC et de signature électronique sont lancées. Après le délai de rétractation, les tokens sont créés et attribués dans des wallets.
Fraktion utilise un modèle d’obligations convertibles en actions (OCA) conformément aux articles L.228-91 du Code de commerce avec une date de conversion prévue 10 ans après celle de l’émission des tokens. Les investisseurs reçoivent des “fraktions”, des security tokens correspondant à des parts d’une société propriétaire du bien. Ces tokens permettent de recevoir une part du loyer mensuellement et offrent un potentiel de plus-value à la revente.
Wincity
La plateforme fait figure d’OVNI dans le paysage de la tokenisation immobilière puisque la start up lilloise fraîchement débarquée allie immobilier, tokenisation et gamification grâce à l’utilisation de NFTs qui donne droit à des revenus de type royalties sans que le détenteur ne soit propriétaire d’un bien.
Concrètement, Wincity identifie des biens dans les grandes villes françaises et les met en vente sous forme de collection de NFTs. Une fois le bien acquis grâce aux fonds levés, chaque détenteur de NFT devient copropriétaire d’une partie du bien et perçoit sa quote-part du loyer tous les mois en Ethers (ETH).
L’originalité est qu’on peut acheter ces NFTs immobiliers aussi bien en cryptomonnaies qu’en euros par carte bancaire. Les rendements tournent généralement autour de 7% par an en fonction des loyers perçus. Plus le NFT est rare, plus il sera valorisé et offrira des avantages (accès à des événements, droits de vote pour la gouvernance décentralisée…) notamment dans le futur jeu Wincity.
Concernant la revente des NFT, elle s’effectue actuellement via la plateforme OpenSea moyennant 2,5% de frais de transaction auxquels s’ajoutent 2% de commission pour Wincity. A terme, Wincity prévoit d’ouvrir sa propre plateforme dédiée de revente de NFT afin de proposer un circuit complet aux détenteurs de ses jetons non fongibles et de renforcer l’aspect communautaire.
Une foncière propriétaire des actifs se charge contractuellement de toute la gestion opérationnelle : mise en location, rénovation, assurances, etc. Les détenteurs de NFT perçoivent chaque mois des revenus composés du loyer net, des plus-values, et de la capitalisation liée au remboursement progressif du crédit contracté pour l’achat.
Les autres acteurs (non FR)
RealT
Basée aux États-Unis, RealT permet d’acheter des fractions de biens immobiliers tokenisés à partir de seulement 50 dollars. Le principe : l’entreprise achète des propriétés physiques, le droit américain reconnaissant la possibilité de posséder des fractions de celles-ci via des security tokens assimilables à des actions.
Chaque bien réel donne lieu à la création d’une société à responsabilité limitée (LLC) qui en devient propriétaire. Les utilisateurs de RealT acquièrent des parts dans ces LLC correspondant à des fractions de propriétés avec un rendement annuel de l’ordre de 11%. À ce jour, ce sont plus de 12 millions de dollars de loyers qui ont déjà été distribués depuis le lancement de la plateforme.
La structure garantit l’indépendance patrimoniale des biens. Même en cas de faillite de la maison-mère de RealT, les investisseurs resteraient propriétaires de leurs tokens adossés aux LLC immobilières. Autre atout majeur : la transparence puisque les rendements affichés sont nets de toutes charges déduites.
Par ailleurs, RealT s’est associée au protocole RMM (RealT Money Market) intégrant ses actifs tokenisés à la finance décentralisée (DeFi). RMM permet par exemple d’emprunter des fonds en garantie contre ses fractions d’immobilier tokenisées.
Tokeny
Tokeny est une société basée au Luxembourg, fondée en 2017, qui propose une plateforme de tokenisation permettant d’émettre des titres numériques adossés à des actifs réels.
En 2019, Tokeny a facilité une opération immobilière inédite : le projet “Property Token”, porté par un partenariat entre la société de construction Crea Haus et la société d’investissement Espaceinvest. L’objectif était de lever des fonds pour un programme de développement à Belval par une offre de security tokens (STO).
Ce projet immobilier a été divisé en fractions vendues sous la forme de jetons ERC-20 à un prix d’entrée de 1000€. Ces tokens garantissent à leurs détenteurs un droit à une part proportionnelle des revenus et plus-values du projet. Pour assurer le stockage sécurisé de ces actifs numériques sensibles, un partenariat avec le custodien spécialisé Coinplus a également été mis en place.
Côté liquidité à terme des tokens immobiliers, un accord entre Tokeny et la bourse de valeurs numériques Archax (Royaume-Uni) prévoit leur admission aux échanges sur cette plateforme spécialisée dans la négociation des security tokens. Ceci devrait faciliter la revente des actifs tokenisés du projet Property Token.
En 2020, la société a signé un partenariat stratégique avec la fintech américaine Inveniam, spécialisée dans l’analyse de données d’actifs privés. Tokeny fournira sa technologie de tokenisation en marque blanche et recevra en échange un investissement de 5 millions de dollars de la part des investisseurs d’Inveniam. Plus récemment, en 2022, Tokeny a été sélectionnée par la société WeInvest Capital Partners pour tokeniser un fonds immobilier luxembourgeois, dans le but d’en améliorer la gestion et d’offrir plus de liquidité aux investisseurs…
La pierre fractionnée, un investissement solide ?
Comme tout type d’investissement, l’acquisition de part d’immobilier en token comporte certains risques inhérents à ce type de placement.
Celui de non-liquidité : la revente des tokens dépendant essentiellement de l’offre et de la demande sur le marché secondaire, il peut être difficile de céder ses actifs numériques rapidement et au prix attendu. En cas de retournement du marché immobilier, la liquidité peut même se tarir complètement. Ce n’est pas parce que le support est liquide que l’investissement réalisé l’est.
Un autre risque tient à la possibilité d’une vacance locative du bien sous-jacent aux tokens. Si celui-ci se retrouve durablement inoccupé ou que le locataire cesse de payer son loyer, le rendement attendu par l’investisseur en est directement affecté.
Les montages juridiques décrits ci-avant sont très différents les uns des autres. Les Royalties ne sont pas des titres financiers, les obligations de SPV entraînent des règles de gestion très différentes de celles d’un token utilitaire, une fiducie est une structure très différente d’un SPV. Ils peuvent avoir des conséquences fiscales pour l’investisseur et ajouter du risque sur la possibilité de récupérer le capital initial.
Par ailleurs, la valeur des tokens peut fluctuer au gré de l’évolution du marché de l’immobilier. Une baisse globale des prix se traduira par une moins-value et un appauvrissement du patrimoine détenu sous forme de jetons numériques.
D’autres risques plus spécifiques pèsent également sur les biens eux-mêmes : malfaçons, vices cachés, sinistres et même contentieux avec locataires ou autorités.
Enfin, outre les risques opérationnels, la fragmentation de la propriété d’actifs tangibles en jetons numériques échangés sur la blockchain constitue une innovation financière encore récente. De ce fait, les autorités de régulation peinent encore à adopter un cadre normatif harmonisé, clair et cohérent encadrant ce mode de placement….